Si, au lieu d’avoir été simple reporter, Tintin avait été musicien, Hergé l’aurait sans doute appelé Jo Kaiat. Né à Nice il y a soixante ans, ce pianiste n’a en effet manifesté, depuis sa prime adolescence, qu’une salutaire bougeotte exploratrice. Passant à ses débuts du jazz au classicisme moderne de compositeurs tels que Bartok, Stravinsky ou Messiaen, il s’immerge ensuite à Paris dans les courants du jazz actuel, auprès d’instrumentistes tels que Jeff Sicard, Steve Potts et George Brown, avant de rentrer sur la Baie des Anges, le temps d’y fricoter avec Barney Wilen. Il vit ensuite deux années frénétiques à New-York, à se produire au Village et à Harlem parmi des pointures telles que Dennis Charles, Andy McCloud, Ernie Barnes ou Clifford Barbaro, avant de se décider à opter enfin pour l’Afrique. Son premier album (enregistré avec des musiciens gnawas et bambaras) oscillera ainsi entre Maroc et Mali (où il résidera cinq ans), tandis que le suivant le mènera à Delhi, pour un trio piano-violon-tablas capté avec deux virtuoses autochtones. On ne s’étonnera donc guère de retrouver à présent Jo Kaiat à Tel-Aviv pour ce nouvel épisode de ses pérégrinations. Et c’est l’une des stars incontestées du jazz actuel, le grand Avishai Cohen, qui lui donne la réplique sur deux des neuf originaux ici proposés. La section rythmique qui l’y soutient avec brio s’avère également du cru, avec le contrebassiste Gilad Abro, et les batteurs Noam David et Ilan Katchka. Dès l’”Avishai” qui ouvre le ban, on est emporté par l’enivrante richesse rythmique et harmonique qui traverse ce disque de bout en bout. Se riant des styles et des courants, le piano de Jo virevolte avec une joviale aisance et un féroce appétit sur des structures empruntant tour à tour à l’Afrique de l’Ouest, au Moyen-Orient et aux musiques arabo-andalouses. Ses contrepoints sur “Avishai” et “Point Of Light” doivent ainsi presque autant à Ravel et Satie qu’à Red Garland et McCoy Tyner, tandis que le tango beat de “Find Back”, le gnawa-andalou “Flamencato” et la bossa endiablée de “Koreduga La Joie” (à nouveau avec Cohen) renvoient au Chick Corea de “My Spanish Heart”, et qu’avec ses shekere lancinants, “Naa Donke” revisite une entêtante mélopée bambara. Seule reprise de cette copieuse fournée, “Beer Bassadeh” évoque la délicatesse harmonique d’un Bill Evans, avant que “Souvenirs” et “Destin” ne réinvestissent avec maestria de latins rivages. C’est seul au piano et au mélodica que Jo Kaiat conclut ce splendide album, sur un bref mais sensible “What Did The Angel Say”. Une expérience auditive qui invite au voyage sensoriel, là où le charnel et le spirituel ne semblent jamais faire si bon ménage.